Nuit du 4 août 1789

4 août 1789, abolition des privilèges.
Tous en bloc.
C’était beau comme idée.
La mise en pratique fut un peu plus hésitante.
Je vais en prendre deux comme exemples.
1)- jusqu’en 1789, seul le peuple payait des impôts.
Les nobles n’en payaient aucun, par privilège.
Le clergé non plus, par privilège aussi.
Donc cela veut dire que le peuple payait à lui seul TOUS les impôts existants.
La masse des plus pauvres faisait vivre le pays.
L’abolition des privilèges a établi dans les esprits l’idée que tout un chacun devait payer des impôts en fonction de ses moyens.
Bien sûr la concrétisation de cette idée n’a jamais brillé par son équité ni par son égalitarisme.
2)- jusqu’en 1789 seuls les nobles avaient le droit de chasser, par privilège.
Un roturier surpris à pratiquer la chasse risquait les galères, la pendaison, le cachot… selon les époques.
L’abolition de ce privilège a créé une telle pagaille dans le pays que quelques mois plus tard les députés sont revenus sur la question de la chasse : seuls les propriétaires de terres auraient désormais le droit de chasser. Tout de suite, ça calme… et ça a perduré ainsi jusqu’au 20ème siècle.
Etc…

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite de mon précédent post sur la question.
Je reprends l’exemple essentiel à l’époque de la répartition des impôts.
Jusqu’à cette date donc, seul le peuple payait des impôts et il en payait beaucoup.
À noter que les personnes d’obédience juive devaient payer un impôt supplémentaire très lourd, alors même qu’ils n’étaient pas considérés comme des citoyens et avaient des droits très restreints.
Les nobles ne payaient aucun impôt et le clergé non plus, alors qu’ils étaient de très loin les plus riches du royaume.
L’abolition des privilèges dézingue tout ça et c’est très bien, amenant le principe que chacun doit contribuer selon ses moyens.
Oui mais…
De très nombreux nobles décident alors d’émigrer, ils le font massivement, emportant avec eux fric, bijoux, objets de valeurs, titres fonciers, etc. Comment les imposer s’ils sont partis on ne sait pas où ?
Dès lors, qui va collecter l’impôt ? Auparavant c’était les fermiers généraux, souvent nobles eux-mêmes, qui collectaient les impôts. Ils étaient détestés par le peuple et personne ne leur faisait confiance. Qui allait se charger de collecter ?
Il fallait aussi créer des barèmes, des critères, des documents officiels. Qui allait le faire ?
Il faudrait du temps pour organiser tout cela de manière juste, et des compétences que tout le monde n’avait pas (et d’abord lire, écrire, compter).
Par ce seul exemple des impôts, on voit la difficulté à mettre en œuvre concrètement une belle idée : la justice fiscale.
Et dans tous les domaines, les députés révolutionnaires se sont heurtés à cet « après » de la nuit du 4 août, dans une joyeuse pagaille.

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
Tous les impôts dus à l’église par le peuple sont abolis : en premier lieu la dîme, le plus important de tous.
Mais aussi la côte morte, le vacat, le denier de Saint Pierre, etc etc, dus aux différents prélats tels que les évêques, archevêques ou cardinaux.
L’église perd ainsi d’un coup presque tous ses revenus.
Pour tenter d’y remédier, l’église va se mettre à vendre ses biens immobiliers : terres agricoles, forêts, bâtiments monastiques,… seront mis en vente massivement sur tout le territoire.
Le mouvement va s’accélérer avec la décision de nationalisation des biens de l’église, en octobre novembre de la même année. J’y reviendrai.
Mais qui pourra les acheter ?
Certainement pas les petites gens sans le sou, ni même les petits artisans des villes.
A l’occasion, on verra des petits paysans s’associer à 10 ou 20 pour acheter à plusieurs une terre.
Certains même parviendront à emprunter de l’argent pour cela.
Mais dans la plupart des cas, ce sont les bourgeois des villes qui seront les seuls à avoir les moyens d’acheter ces biens. Et ainsi à s’enrichir.
Les députés révolutionnaires n’avaient pas prévu tout ça…

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
Il est important de savoir que de très nombreux députés siégeant à l’ Assemblée constituante étaient de petits nobles désargentés acquis aux idées nouvelles, venus de tous les coins du pays pour porter les revendications du peuple, et particulièrement sensibles aux souffrances des paysans.
Depuis le 14 juillet, le pays connaissait des émeutes et soulèvements populaires parfois dramatiques, motivés par la faim ( rareté et cherté du pain et des farines) et le poids insupportable des impôts.
On a appelé cette période « la Grande Peur »…
De plus en plus de gens, dans tous les milieux, étaient convaincus de la nécessité urgente des réformes afin de ramener le calme dans le pays.
Préalablement à cette séance du 4 août , des projets de réformes avaient été proposés par une douzaine de députés tous issus de la petite noblesse sans le sou.
L’un proposait de supprimer la dîme, l’autre de supprimer les corvées et le champart, l’autre de supprimer le droit de main morte, un autre de supprimer les privilèges accordés aux corporations, etc…
Finalement et après lecture de toutes ces propositions, par une volonté de synthétisme radical, il fut voté cette loi unique :
Abolition de tous les privilèges et destruction de la féodalité.
Bien sûr il y eut des voix contre, mais la majorité des constituants vota pour.
La séance avait duré dix heures non stop, de 19h à 3h du matin.

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
C’est l’Assemblée nationale constituante qui a voté l’abolition des privilèges et l’abolition de la féodalité.
Elle n’existait que depuis le 9 juillet.
Avant le 9 juillet, il s’agissait des États généraux, convoqués par le roi pour tenter de régler les problèmes financiers du royaume.
Il n’y a pas eu de nouvelles élections pour former la Constituante puisque précisément ce sont les députés du Tiers-État des États généraux qui, en juin, ont décidé et juré de donner une Constitution au pays et de ne plus se séparer tant que ce ne serait pas fait (c’est le Serment du Jeu de Paume).
La Constituante était donc composée des 1145 députés des 3 ordres, avec une présidence tournante renouvelée tous les 15 jours.
La grande nouveauté par rapport aux États généraux, c’est que désormais on comptabilisait les votes par tête et non plus par ordre. Or de nombreux députés du clergé et de la noblesse votaient comme le Tiers-État.
Le vote par tête avait été une des grandes revendications de cette fin du 18ème siècle, illustrée en particulier dans les écrits de Sieyès.
C’était en soi une victoire.
Tout ce déroulement d’événements, depuis le Serment du jeu de paume (bien plus décisif que le 14 juillet) jusqu’au 4 août, est une sorte de coup d’état ou de… révolution. Il s’est fait sans tenir aucun compte de l’avis du roi sur la question, en détournant complètement les objectifs initiaux des États généraux.

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
Dans les semaines ayant précédé le 4 août, des révoltes paysannes et des émeutes éclatent un peu partout dans le pays.
C’est ce que l’on a appelé « la Grande Peur ».
L’objet central de ces émeutes est l’injustice fiscale pesant sur le peuple, et en particulier les impôts et corvées dûs par le peuple aux familles nobles.
Des groupes de paysans exaspérés, parfois affamés, se précipitent vers les « châteaux » et réclament les « terriers » détenus par les seigneurs.
Les terriers sont les documents écrits attestant de la propriété des terres et justifiant des droits seigneuriaux.
Beaucoup de terriers sont emportés et détruits par les paysans en colère, – qui d’ailleurs sont souvent incapables de les lire.
Quand le seigneur ou le personnel du château refuse de livrer le terrier (qui n’existe pas toujours), les paysans à l’occasion pillent tout ce qu’ils peuvent piller, ou mettent le feu au château.
Certains à l’époque ont réclamé la plus grande sévérité contre ces paysans émeutiers, en particulier parmi ceux qu’on nomme aujourd’hui les bourgeois, et y compris ceux qui siégeaient au sein de la Constituante. Ils n’ont pas eu gain de cause.
L’abolition des privilèges et du système féodal a eu pour effet d’apaiser les émeutes paysannes.
Elle a aussi précipité l’émigration massive des nobles vers les pays voisins.

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
Dans les quelques jours qui ont suivi le 4 août 1789, il s’est trouvé des députés à la Constituante qui, effrayés par les conséquences subversives de ce vote, -et ayant probablement voté contre-, ont tenté de faire pression sur le président de l’ Assemblée constituante pour faire modifier le contenu de ladite loi.
Ce dernier, très courageusement, leur a rétorqué sans cesse qu’il était trop tard, qu’on ne pouvait revenir sur une loi aussi massivement votée, et qu’il n’accepterait que des modifications sur la forme et non sur le fond.
Et ceci jusqu’au 11 août dernier délai.
Quand les députés anti-abolition des privilèges sont arrivés à l’ Assemblée au matin du 11 août pour tenter de faire accepter leurs modifications, … ce fut pour découvrir que la loi d’abolition des privilèges et de la féodalité venait juste d’être validée définitivement.
Malin ce président de la Constituante, non ?

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
Parmi les droits seigneuriaux auxquels vous n’auriez pas pensé, il y en avait un : les droits seigneuriaux sur les poids et mesures.
Avant 1789, il y avait en France une flopée d’unités de poids et mesures différentes selon les régions, villes, terres seigneuriales, … : toises, lieues, coudées, muids, galions, etc, et c’est le seigneur du coin qui en décidait.
En tout on a répertorié environ 800 noms d’unités différentes ayant cours dans le royaume.
Cela ne facilitait pas les échanges ni le commerce ! Surtout quand on sait que le muid et le boisseau, par exemple, avaient des valeurs différentes selon les villes… On peut imaginer les conflits occasionnés.
De nombreux personnages avaient déjà essayé, sans succès, d’unifier et de rationaliser tout ça : entre autres Colbert, Turgot, les encyclopédistes…
Et les premiers à résister étaient les nobles… qui veillaient jalousement à leurs prérogatives dans ce domaine.
La nuit du 4 août balaye tout ça d’un coup.
Désormais les députés de la Constituante puis les suivants peuvent réfléchir sereinement au meilleur système possible. Secondés par quelques scientifiques de premier plan, Monge, Condorcet, Lavoisier, … et quelques volontés politiques fortes (Talleyrand), il va leur falloir 10 ans – c’est beau la force des symboles -, pour élaborer le premier système DÉCIMAL de poids et mesures applicable à tous les domaines, à étalon invariable.
L’étalon ce sera le mètre, « inventé » par nos idéalistes de révolutionnaires.
Calculé sur la base du quart de la circonférence de la Terre, du Pôle nord à l’ Équateur, il leur faudra d’abord établir un mètre provisoire approximatif, – avant de voir revenir les géomètres partis mesurer eux mêmes cette distance et de pouvoir enfin établir un mètre définitif… en 1799.
Une vraie épopée, dont les audacieux géomètres sont tous revenus vivants !
Mais les aléas de l’histoire de France feront qu’il faudra attendre 1837 pour que le système métrique soit définitivement adopté dans tout le pays.
Et ailleurs, puisque ce nouveau système connaîtra un succès presque planétaire…

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Suite à la nuit du 4 août et à l’abolition des privilèges (dont ceux de l’ Église), plusieurs étapes vont venir en conséquences directes, dont :
– En octobre-novembre 1789, les biens de l’ Église sont confisqués et nationalisés ;
– Le 13 février 1790, les députés de la Constituante votent la suppression des « vœux monastiques » car ils sont, pour eux, une « aliénation ».
Cette loi ne verra son application qu’en septembre 1792, avec une seconde loi la complétant, votée par l’ Assemblée nationale.
Dès lors, libre à chacun de se consacrer à une vie vertueuse, à un dieu ou un autre, mais ce sera un choix purement personnel et privé.
Aucun vœu officiel ne liera cette personne à un destin tracé.
– Seuls resteront alors les prêtres de paroisses, à condition qu’ils jurent fidélité et loyauté à la Constitution civile du clergé, – c’est à dire aux principes de la Révolution.
Le décret instituant la Constitution civile du clergé date du 24 août 1790.
– La même loi de septembre 1792 sur les vœux monastiques, interdira aussi toutes les sortes de costumes religieux.
Les prêtres comme les croyants seront amenés à s’habiller comme le commun des mortels, sans rien qui puisse les distinguer.
30.8.2023

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
L’abolition en bloc de tous les privilèges par les députés de la Constituante, les a nécessairement amenés à affirmer l’égalité en droits de tous.
L’égalité étant l’exact opposé d’une société de privilèges.
Ils l’ont très vite affirmé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 3 semaines après la nuit du 4 août.
Puis dans une série de lois, menées de front avec la rédaction de la Constitution française.

LES PROTESTANTS DE FRANCE
La liberté de conscience et de culte, pour tous, est désormais garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Elle sera confirmée par la Constitution française, aboutie fin 1791.
Entre-temps, la loi du 24 décembre 1789 accorde aux protestants de France la citoyenneté pleine et entière, et l’accès à tous les emplois publics ou privés.
Avant 1789 les protestants étaient encore, en théorie, sous le coup de la « Révocation de l’Édit de Nantes » promulguée contre eux par Louis 14.
Même si l’Édit de tolérance promulgué en 1787 par Louis 16 était destiné à améliorer leur situation, leurs droits civiques et politiques restaient restreints.
La loi de décembre 1789 les fait entrer définitivement dans la citoyenneté pleine et entière.

LES JUIFS DE FRANCE
Le 27 septembre 1791, au cours du travail final sur la Constitution française, la citoyenneté française pleine et entière est donnée à tous les Juifs de France.
Désormais ils ne seront plus obligés de vivre dans des quartiers séparés, ils n’auront plus à payer les impôts spécifiques écrasants qui pesaient sur eux seuls, ils pourront exercer le métier de leur choix, et avoir les mêmes droits civiques et politiques que l’ensemble des citoyens.
Seule la sinistre parenthèse vichyste supprimera ces droits pendant quelques années.

LES PERSONNES DE COULEUR et L’ESCLAVAGE
Le 4 avril 1792, l’Assemblée nationale accorde la citoyenneté française pleine et entière à tous les « libres de couleur »: c’est à dire à toutes personnes noires ou métisses non esclaves (souvent affranchies) vivant aux colonies ou sur le sol du royaume.
Ce qui prouve que, bien que non esclaves, ces personnes n’avaient pas beaucoup de droits auparavant.
Le 4 février 1794, la Convention décrète l’abolition de l’esclavage partout, sur le sol de France comme en ses colonies. C’est une première dans l’histoire de l’humanité, il faut le souligner.
Hélas Napoléon rétablira l’esclavage en 1802, et il faudra attendre ensuite 1848 pour que sa disparition en France soit actée.

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges et de la féodalité, suite.
L’abolition de tous les privilèges a entraîné avec elle la suppression de la tenue des « registres paroissiaux » pour les naissances, mariages et décès, dont Louis 14 avait accordé la prérogative à l’église.
Au lendemain du 4 août 1789, s’ensuit une période de cafouillage où l’on ne sait plus très bien qui doit faire quoi, où certains registres paroissiaux continuent d’être renseignés mais pas partout en France, – période hésitante qui va durer à peu près 3 ans. (*)
Enfin, le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative se saisit du dossier et publie un décret très important pour l’avenir du pays puisqu’il contient en germe la notion nouvelle de laïcité.
Désormais par ce décret, les démarches et documents d’état civil sont confiés exclusivement aux maires. C’est eux qui devront noter et archiver les naissances, mariages et décès survenus dans leur commune.
Dans ce même décret, est institué le mariage civil et laïc (non religieux) seul reconnu valide par la loi.
Ce mariage sera contracté devant l’officier municipal chargé de l’état civil, à savoir le maire ou l’un de ses adjoints.
Ceux qui souhaitent se marier aussi religieusement peuvent bien sûr le faire.
Moins de 3 semaines plus tard, le 9 octobre 1792, est publiée la première loi française autorisant le divorce.
Il sera aboli le 8 mai 1816 dès les débuts de la restauration monarchique, qualifié de « poison révolutionnaire », et enfin rétabli définitivement en 1884.

(*) A noter, pour ceux qui font des recherches à propos de leur arbre généalogique, la difficulté à trouver des documents sur les naissances et les décès :
– à l’intérieur de cette période de 3 années de cafouillages entre 1789 et 1792 mais variant selon les régions : registres paroissiaux de plus en plus aléatoires, parfois interrompus,…
– avant 1789 : dans certaines villes ou villages, les registres paroissiaux ont parfois été brûlés par des émeutiers très remontés contre l’ église et les impôts qui lui étaient dus ;
– avant 1660 : très difficile de remonter plus loin pour la plupart des français ! Avant que Louis 14 ne décide de confier ce travail de registres aux paroisses du royaume, seuls les baptêmes étaient notés par les curés. Et encore pas toujours…

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges et de la féodalité, suite.
Et la République alors, dans tout ça ?…
De fait, les députés de la Constituante votent à une large majorité l’abolition de tous les privilèges et l’abolition du système de la féodalité, le 4 août 1789. C’était véritablement une révolution.
Ils auraient pu aller plus loin, dans la foulée…
Mais non : seule une petite minorité d’entre eux étaient alors partisans de la république.
L’objectif politique de presque tous ces députés restait l’établissement d’une monarchie constitutionnelle, et donc l’élaboration d’une Constitution qui serait la toute première existant en France.
Ce régime politique semblait à l’époque « moderne » et garant de l’égalité.
Les choses vont commencer à basculer progressivement à partir de 1791.
Cette année là, le roi et sa famille tentent de quitter le royaume en secret, afin de rejoindre les armées autrichiennes qui les attendent de l’autre côté de la frontière. Le roi sera intercepté peu avant la frontière et ramené honteusement à Paris, où il vivra désormais emprisonné aux Tuileries.
Son aura personnelle en a pris un coup, et beaucoup ont compris alors qu’il avait fomenté cette fuite avec « l’ennemi » (l’armée des nobles émigrés depuis 1789, et l’armée autrichienne).
Cependant la 1ère Constitution est publiée le 3 septembre 1791, elle pose les principes d’une monarchie constitutionnelle, et prévoit des élections afin de former l’ Assemblée législative du pays.
Tous les députés élus (745) pour cette Assemblée législative sont nouveaux, puisque les constituants avaient eux mêmes prévu de ne pas pouvoir se présenter aux élections de la législative, – dans un souci de renouvellement.
Néanmoins, ces nouveaux élus sont eux aussi plutôt partisans d’une monarchie constitutionnelle, ce qui était l’opinion majoritaire dans le pays.
Cependant, ils vont très vite se rendre compte que le roi oppose son veto à toutes leurs décisions, ce qui va contribuer aussi à ruiner son aura peu à peu.
A partir du printemps 1792, une coalition militaire prusso-autrichienne-émigrés se forme contre la France, pour déloger les révolutionnaires et rétablir le roi dans sa souveraineté. Des menaces sans équivoque sont adressées à l’Assemblée, des chantages et tentatives d’intimidation.
Des lettres interceptées aux Tuileries montrent que Louis 16 est en constante correspondance avec la coalition.
L’Assemblée décide alors de transférer le roi et sa famille à la prison du Temple, le 13 août 1792, et d’organiser de nouvelles élections pour décider quoi faire du roi ; les élections pour une Convention nationale s’organisent tant bien que mal, MAIS pour la première fois dans l’histoire de l’ Europe, sur la base du SUFFRAGE UNIVERSEL masculin.
Elle n’a pas le temps d’y réfléchir davantage, puisqu’il y a urgence : les armées ennemies sont aux frontières, la guerre est inévitable, il faut former une armée.
Or il se trouve, et c’est là un des hasards de L’histoire, que l’armée populaire et révolutionnaire réussit à battre de manière spectaculaire les armées de la coalition, le 20 septembre 1792, sur la colline de Valmy !
Dès le lendemain, 21 septembre 1792, la Convention peut siéger et sa première décision sera :
L’ABOLITION de la ROYAUTÉ en FRANCE
et la
PROCLAMATION de la RÉPUBLIQUE.
Il ne lui reste qu’à rédiger une nouvelle constitution prenant en compte cette décision…

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges, suite.
Dans la foulée de cette abolition générale des privilèges, les constituants ordonnent la destruction complète du Gibet de Montfaucon, symbole de l’arbitraire royal au moins autant que les lettres de cachet.
Pourtant cette destruction n’a pas laissé de souvenir marquant, à tel point qu’on en ignore la date exacte.
Ce gibet fonctionna à plein régime depuis le début du 15ème siècle jusqu’au règne de Louis 13. Après cela on ne l’a utilisé que pour exposer au public les dépouilles des personnes exécutées ailleurs.
Ce véritable monument haut d’une vingtaine de mètres, avec vaste socle en pierres de taille, escalier d’accès en pierres, et fourches patibulaires permettant de pendre 16 personnes à la fois, était visible de très loin et servait à intimider les foules. Les dépouilles y pourrissaient lentement, ou nourrissaient les corbeaux.
Il s’agissait là, des le Moyen Âge, du plus grand gibet de Paris, destiné à exercer la justice royale, – à savoir sans aucun procès. On appelait ça aussi les bois de justice.
Il est donc détruit de fond en comble sur ordre des députés de la Constituante, si bien qu’en février 1790 des textes attestent qu’il n’en restait plus trace.
Les autres gibets de la capitale, plus modestes, seront détruits aussi : rue de l’ Estrapade, pilori sur le carrefour Mabillon, etc…
Tout ceci sera bientôt remplacé par la guillotine, plus propre et efficace, moderne, qui balaiera d’un coup les pendaisons, écartèlements, supplices de la roue et autres joyeusetés…

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges et de la féodalité, suite.
Dès le lendemain de la nuit du 4 août, des familles nobles, privées désormais de leurs privilèges commencent à quitter le pays pour se réfugier ailleurs, au delà des frontières.
On les appellera les émigrés.
Au total entre 1789 et 1799, ils seront environ 140.000 personnes à quitter le royaume, par vagues successives.
C’est un nombre élevé quand on sait que Sieyès en 1788, comptabilisait environ 200.000 nobles pour l’ensemble du territoire.
Or une partie importante de ces nobles émigrés va se mettre à « conspirer » contre le pouvoir révolutionnaire, et en particulier à monter une armée pour lui faire la guerre, aux côtés des armées autrichiennes et prussiennes.
Les Constituants puis l’Assemblée législative en seront rapidement informés, et c’est pourquoi en mars 1792 une loi est votée qui confisque les biens des émigrés au profit de la nation.
Les terres, forêts, châteaux et hôtels particuliers, les objets et meubles, tout est confisqué.
Et peu après, mis en vente.
Je reviendrai plus tard sur ce dernier point.
Plus tard, Napoléon n’aura pas vraiment la volonté d’indemniser ces familles nobles ayant perdu leurs biens, même si elles commencent à revenir en France sous son règne. Curieusement, Louis 18 non plus.
C’est Charles 10 qui fera voter une loi dite « du milliard aux émigrés » destinée à les indemniser pendant 33 ans !
Cette mesure « ultra » va lourdement grever le budget national, situation qui débouchera sur les journées insurrectionnelles dites « Trois glorieuses » en 1830.

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges, suite.
Parmi tous les privilèges abolis d’un coup, il en est un implicite, non exprimé, qui a eu des conséquences pour le moins inattendues.
Il s’agit de la possibilité (et non du droit) de se battre en duel.
Avant 1789, seuls les nobles avaient le droit par privilège de porter des armes sur eux, et d’en user (épées ou armes à feu).
D’en user pour se défendre en cas d’attaque bien sûr, mais aussi trucider les manants qui osaient braconner sur leurs terres…
Les duels avaient été interdits par Louis 14 vers la fin de son règne, mais les jeunes nobles bravaient régulièrement cet interdit et continuaient de se battre en duel. Souvent et passionnément.
La nuit du 4 août a autorisé quiconque à porter une arme et s’en servir. Encore fallait-il pouvoir s’en acheter une… ou la voler.
Mais elle n’a jamais dit que le duel était autorisé désormais pour tous, puisqu’il était déjà interdit pour tous. Il l’est resté.
Pourtant une grande partie du peuple l’a interprété de cette façon : maintenant, on peut se battre en duel si on en a envie.
Et de fait, pendant toute la durée de la révolution, le nombre des duels a explosé.
Il suffisait d’un désaccord politique… et l’on se battait en duel. Les gens du peuple comme les bourgeois.
Même certaines femmes s’y sont mises : il y a eu des duels de femmes mémorables.
Je cherche le nombre de morts par duels entre 1789 et 1799. Travail de fourmi.
Resté interdit et puni par la loi, le duel a perduré en France pendant tout le 19eme siècle, et jusqu’en… 1967, date du tout dernier duel connu.

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges, suite.
Une des conséquences de la nuit du 4 août, figurez-vous que ce sont nos bons petits restos et leurs délicieuses spécialités.
Bien sûr avant 1789 et depuis des siècles, il y avait quantités d’auberges et de tavernes où l’on pouvait manger la tambouille du jour ou se pochtronner une partie de la nuit…
Et puis depuis une cinquantaine d’années il y avait aussi, dans les grandes villes, les « Bouillons restaurans » : ils proposaient pour pas trop cher des viandes et légumes bouillis (du genre pot-au-feu) qui étaient réputés pour être reconstituants, pour restaurer la santé de la personne qui en mangeait.
À partir du 4 août 1789 et de l’abolition des privilèges, le pays va se vider peu à peu des 3/4 de ses familles nobles, préférant émigrer à l’étranger plutôt que rester et tenter de composer avec la révolution.
Ils laissent derrière eux leurs châteaux, leurs terres, leurs hôtels particuliers, et… leur personnel.
Et parmi ce personnel, il y a en particulier les cuisiniers qui avaient l’habitude de préparer des plats raffinés et succulents pour leurs maîtres, et se retrouvent soudain sans emploi et sans revenus.
Ils vont massivement s’emparer de cette opportunité, ouvrir leurs propres « restaurans » et y proposer pour la première fois des « cartes » listant toutes sortes de plats singuliers jamais vus dans les auberges.
La gastronomie française vient de se répandre partout dans le pays…

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges, suite.
On vous a appris que c’est Napoléon qui a réorganisé administrativement la France ?
Et ben non, ce sont les révolutionnaires.
Dès le mois d’août 1789 après la fameuse nuit, les députés de la Constituante commencent à repenser le découpage administratif du pays.
Finis les diocèses, paroisses et autres bailliages !
Le 15 février 1790 après 6 mois de travail, le découpage en départements et districts est voté.
En septembre de la même année, les membres des Conseils généraux sont élus dans chaque département.
Il leur a donc fallu un peu plus d’un an pour tout réorganiser.
Napoléon a juste confirmé ce nouveau découpage et ses nouvelles attributions. Et leur totale laïcité.

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges, suite.
Pendant des siècles, le pouvoir en France s’est intéressé aux métiers de sage-femme et d’accoucheuse.
Les révolutionnaires vont tenter d’organiser rationnellement, de généraliser et d’améliorer ces professions, qu’ils considèrent comme essentielles au pays.
La nuit du 4 août ayant aboli toutes les juridictions se préoccupant précédemment de ces domaines, il faut d’urgence établir une nouvelle organisation.
Peu à peu, des cours pour la formation des sages-femmes vont être organisés dans chaque département.
Avec des lieux dédiés, des professeurs et professeures, des cursus sur plusieurs mois, des diplômes officiels.
Entre septembre 1790 et ventôse de l’an XI (mars 1803), une quantité incroyable de réglementations et de lois sont votées par les députés pour ce seul secteur d’activité.
Peu d’autres métiers feront l’objet d’une telle attention de la part de l’Assemblée.

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges, suite.
Certes au fil du 18ème siècle, les pratiques d’hygiène corporelle avaient notablement évolué, – en partie sous l’impulsion des Lumières et penseurs divers.
Ainsi au contraire de son grand-père qui ne se lavait quasiment pas, le roi Louis 15 s’était fait installer une vaste salle de bains dotée de deux baignoires en son château de Versailles.
Le Dr Tronchin, proche des Encyclopédistes, préconisait dans ses livres : marcher chaque jour, aérer les habitations, se laver chaque jour à l’eau et au savon… ce qui prouve en passant que ça ne semblait pas si évident pour la plupart des gens.
Il faut dire qu’à la fin du 18ème siècle, la grande majorité des Français ne disposaient chez eux ni de salles de bains ni de toilettes, même en ville.
Tout le monde n’avait pas l’eau courante à portée de main, – c’est pourquoi des porteurs d’eau circulaient dans les villes et vendaient leur eau.
L’abolition des privilèges va amener l’idée que l’hygiène ne peut rester un privilège des plus riches.
Et que les pouvoirs publics doivent s’emparer de ce problème.
D’où une longue suite de lois et règlements tout au long de la période révolutionnaire.
– la loi du 22 juillet 1791 sur la salubrité des villes et villages, vise à : réprimer les exhalaisons putrides dans les villes, établir des règles de surveillance des fosses, procéder au nettoyage général des rues, éloigner les cimetières des villes.
– courant 1793, sont créées dans chaque commune de France des commissions chargées de veiller à l’hygiène publique. Les communes ont désormais pour tâche d’organiser l’adduction des villes en eau courante, jusqu’aux habitations. Ce chantier énorme, très progressif, n’aboutira techniquement qu’en 1853, mais pas encore chez tous les particuliers ; rappelons qu’en 1930 moins de la moitié des français bénéficiait de l’eau courante (froide) à domicile.
– en 1794, la Convention inclut l’enseignement de l’hygiène dans les études médicales.
– en 1796, est créée à Paris la toute première chaire universitaire d’hygiène médicale, dans le monde.
Et puis, clin d’œil de l’Histoire : les Bains, ces nombreux établissements présents à Paris , raffinés et luxueux, aux tarifs vertigineux, autrefois fréquentés exclusivement par les aristocrates, vont péricliter en raison du départ pour l’étranger de la plupart des nobles dès le début de la Révolution.
Les révolutionnaires, députés, penseurs, activistes, hommes et femmes mêlés, vont investir (sans payer) ces lieux spacieux et plaisants pour y tenir leurs réunions politiques, discuter des nuits entières en s’abreuvant de café, dormir sur place parfois.
Ainsi les très huppés Bains Chinois vont pendant quelques années servir de repaire à Gracchus Babœuf qui ira y écrire ses articles de presse, et imaginer avec quelques amis sa Conspiration des Égaux…
Comme quoi l’hygiène est très utile.

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Nuit du 4 août 1789, abolition des privilèges, suite.
L’abolition des privilèges a conduit à renommer progressivement quantité de lieux, établissements, administrations.
À peu près tous, en fait.
Ainsi le Jardin du Roi, créé par Henri 4 pour l’usage royal, est devenu fin 1789 le Jardin des Plantes.
Puis en juin 1793, les députés de la Convention décident de la création dans l’enceinte même du Jardin des Plantes, du Muséum National d’Histoire Naturelle, consacré à l’enseignement.
Il sera construit sur ce qui était le laboratoire personnel de Buffon, qui fut longtemps directeur du Jardin du Roi.
La Convention nomme Bernardin de Saint-Pierre comme nouveau directeur du Jardin des Plantes.
Scientifique réputé mais aussi écrivain (auteur de « Paul et Virginie ») et adepte des idées de la Révolution, il participe à l’élaboration du premier règlement du Muséum.
Dans ce dernier, on peut lire que « tous les professeurs exerçant au Muséum National sont égaux en droits et en rémunérations ».

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Nuit du 4 août, abolition des privilèges, suite.
Entre autres choses, les députés de la Constituante ont aboli cette nuit là la « vénalité des charges ».
Ils voulaient l’égalité devant l’emploi, sans le dire encore ainsi. Et pour qu’il y ait égalité devant l’emploi, assortie d’une éventuelle reconnaissance des compétences de chacun, il fallait que tout individu puisse postuler à une charge (nous dirions une fonction) quelle que soit son origine sociale.
Et par conséquent il fallait faire disparaître le système de l’achat des charges, ou vénalité, qui interdisait aux personnes d’origine modeste d’y accéder.
En effet tant qu’il fallait verser 200.000 écus pour obtenir un poste de conseiller au parlement régional ou de juge auprès d’un tribunal, il est évident que seuls les nobles ou les très grands bourgeois pouvaient le faire.
À cette époque il n’y avait pas de grandes écoles pour préparer les « fils de » à ces charges, ni de parcoursup pour filtrer les postulants, il y avait juste le fric à verser pour entrer en fonction.

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La mort du roi, janvier 1793.
Aux débuts de la révolution, en 1789, 1790, 1791 même, les révolutionnaires étaient massivement partisans d’une monarchie constitutionnelle et parlementaire.
C’était l’option qui paraissait la plus moderne à cette époque.
De plus la haine ou au minimum la défiance à l’égard des aristocrates, n’entamait pas l’amour du peuple français pour son roi.
Mais…
– La fuite et l’arrestation à Varennes, où tout le monde comprit que les armées autrichiennes attendaient la famille royale de l’autre côté de la frontière, mettant ainsi en évidence la réalité d’un complot ou d’une collusion de longue date entre eux ;
– La volonté des puissances étrangères (Autriche et Prusse) alliées aux aristocrates français émigrés, d’écraser par les armes le gouvernement révolutionnaire et de rétablir la monarchie de droit divin en France ; rappelons dans ce contexte la célèbre bataille de Valmy en septembre 1792, où les armées révolutionnaires parvinrent à défaire les armées ennemies ;
– L’obstination du roi enfin à poursuivre ses contacts avec les dites puissances étrangères (des lettres furent découvertes à plusieurs reprises), et à opposer son veto contre toutes les décisions politiques prises par les députés…
Tout cela eut pour conséquences successives, toutes décidées après des votes dûment organisés, par les députés de l’Assemblée législative puis de la Convention nationale :
– la déchéance de Louis 16 de son titre de roi, et dans la foulée l’abolition de la royauté et la proclamation de la République ;
– l’emprisonnement de la famille royale dans la forteresse du Temple, à l’est de Paris (sur l’emplacement actuel de la mairie du 3ème arrondissement) ;
– la condamnation à mort de l’ex-roi par les députés de la Convention nationale, pour « faits avérés de haute trahison et de complots avec l’ennemi contre la patrie ».
Cette condamnation ne fut pas unanime : 361 voix pour la peine de mort, 360 voix pour l’exil ou la prison à vie.
Il s’en est fallu d’une voix…