Juste une sensation

Troisième nuit d’orages
Aujourd’hui c’est l’été.
Je me souviens de l’été en Norvège
Et des moustiques gros comme des rats,
Des saumons attrapés à main nue…
J’ai parlé à François Hollande
Et vu la Vallée des Rois en Égypte.
J’ai envie de revoir l’océan
Là où les étoiles de mer s’échouent
Au soleil couchant, dans les reflets d’or.
Mais je voudrais y aller avec toi.
J’ai jamais pu obtenir un logement social
Alors je vis ici dans ce petit jardin,
Finalement tout est bien.
J’aimais bien les cours à la Sorbonne
Mais je glandais beaucoup
Ou j’allais plutôt dans les manifs.
On était exigeants avec les profs,
Certains à peine plus âgés que nous.
Il y avait des soirées chez ceux qui avaient
Une chambre en ville et les joints tournaient.
Je crois que j’étais jolie à cette époque,
Allan a voulu m’embrasser un soir et je l’ai repoussé,
Moi je pensais déjà à un grand aux cheveux longs
Qui tractait devant la fac et me faisait les yeux doux.
Ma grand-mère avait été une vraie beauté
Implacable et cruelle avec ceux qui la draguaient.
J’avais des capacités mais peu sure de moi.
J’ai raté un soir le dernier train pour rentrer,
Et j’ai dormi sur un banc, sur un quai de Seine,
Non loin d’un feu allumé par des sans abri.
Ils avaient promis de veiller sur moi
Pour m’éviter tout gêneur et tout ennui.
Au restau universitaire, pour quelques francs
On pouvait manger une énorme ration de riz
Et du poulet ou du poisson avec une sauce.
Tous ceux qui y venaient n’étaient pas étudiants.
Une copine s’est retrouvée enceinte d’un prof
Et on l’a accompagnée pour se faire avorter.
Ma meilleure pote s’appelait Wagner,
Elle nous faisait des omelettes savoureuses.
J’ai été blessée pendant une manif
Mais je ne m’en suis rendu compte qu’après.
Après deux ans en Sorbonne j’ai fait Nanterre.
Mon premier amoureux sérieux y était
Il jouait de la guitare et lisait les poètes.
On se retrouvait au jardin du Luxembourg
Avant d’aller dans sa chambre en mansarde,
À cette époque on ne mangeait que très peu,
On n’avait pas de fric ni l’un ni l’autre.
J’en avais marre des fachos de Action française
Qui essayaient de racoler, postés à la station
Du métro, près des Thermes de Cluny.
Ils m’avaient un jour trouvée aryenne,
Alors j’ai teint mes cheveux en noir corbeau.
Un jour des gens de LO sont venus et leur ont
Cassé la gueule, comme ça en plein boulevard.
Il y avait un étudiant rwandais réchappé des tueries
Dans son pays, très gentil et très cultivé,
Une grande balafre lui traversait le visage.
Une copine m’avait dit qu’elle ne possédait qu’une
Seule jupe, et que c’était sa seule richesse.
Moi je me demandais quelle était ma richesse.
Un soir dans le métro un homme qui devait avoir
Vingt ou trente ans de plus que moi, m’a draguée
Avec insistance, en me disant qu’il avait toujours
Rêvé d’une fille comme moi. Je me demandais
Ce que c’était qu’une fille comme moi…
Quand j’avais trop peu de thunes je prenais juste
Un café dans toute ma journée, en terrasse ou pas.
L’habitude du café en terrasse m’est restée.
Quelques copines se prostituaient pour vivre,
Je les ramassais à la petite cuillère quand elles
Étaient trop désespérées ou qu’elles souffraient.
J’ai pas réussi à trouver Freud sympathique.
J’ai été soulagée d’arriver au bout de mes études
Et de trouver mon premier emploi, de gagner
Un salaire même petit, pouvoir en faire
Ce que je voulais, me sentir un peu plus libre.
C’est juste une sensation, on la trouve où on peut…
2022

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