Nouvelles

Dans le grenier de chez ma mémé, il y avait une immense corolle de soie blanche et orangée avec laquelle on jouait, gamins.
Ça pouvait nous servir de toile de tente improvisée, de robe à traine extravagante, de nid douillet pour nous y enfouir…
En réalité c’était un vieux parachute.
On a mis du temps à comprendre ce que ça signifiait.
Un jeune parachutiste américain était tombé dans le jardin (oui, notre jardin ! enfin celui de mémé… on voulait qu’elle nous montre l’endroit précis de sa chute) en 1944 probablement. Il était blessé.
Les parents de mémé l’ont caché à la cave (mais où, mémé ? à quel endroit de la cave ?) et l’ont soigné.
« – Ah non, ça c’est sûr que mes parents, ils ne voulaient pas que les Allemands le trouvent… Pas question ! »
Et la cave, elle était toute petite ; peut-être 20 mètres carrés maxi. Le sol en terre. Pas d’éclairage ni de fenêtre. Pas d’eau courante dans la maison.
Ça a dû être dur ces conditions, mais enfin il a guéri.
Et il a pu retourner dans son pays.
Et pour finir, la sœur aînée de ma mémé elle est partie aussi aux États-Unis et elle a épousé le parachutiste blessé.
Une lueur taquine dans les yeux de mémé :
« – Il y a un truc qui le dégoûtait vraiment et qu’il refusait de manger : c’est quand on préparait des escargots à l’ail et au persil. Faut dire qu’on n’avait rien à bouffer en ce temps là, à part les topinambours… Heureusement il y avait les fruits du jardin, les prunes, les cerises… sinon je sais pas comment on aurait fait. »

L’apprentissage du mensonge : partie 1
Enfant, je faisais des trucs vraiment bizarres.
Quand j’étais en grande section de maternelle, un jour l’instit’ m’appela, me remit une cassette métallique pleine de pièces de monnaie, et me dit : « Tiens, ça c’est l’argent de la cantine, va vite le donner aux dames de la cantine. Et tu reviens vite. »
Pourquoi me demandait-elle ça à moi ? Mystère.
Moi qui n’étais encore jamais allée manger à la cantine scolaire (ça viendrait plus tard) et qui ne savais pas très bien où elle se trouvait…
Je n’ai pas osé le dire.
Je suis sortie de la classe, et j’ai pris l’escalier pour descendre au rez de chaussée, parce que ça je le savais, que c’était au rez de chaussée.
J’espérais rencontrer ensuite quelqu’un dans les couloirs, à qui je pourrais demander mon chemin.
Hélas je n’ai croisé personne, les couloirs étaient déserts.
Alors j’ai eu l’idée d’aller aux toilettes, qui étaient là tout près. Je me suis dit que c’était bien d’en profiter pour faire pipi. Ce que j’ai fait.
A l’entrée des toilettes, il y avait un muret d’un mètre de hauteur à peu près, qui séparait le coin des lavabos.
Je me suis dit que si je laissais la cassette de la cantine à cet endroit, forcément une des dames assurant le ménage la trouverait et l’apporterait à bon port.
J’ai déposé avec précautions la cassette sur le muret, bien en évidence.
Et je suis remontée vers ma classe.
Quand l’instit’ m’a demandé : alors ça y est ? Tu l’as apportée aux dames de la cantine ?… J’ai simplement dit : oui.
Et jamais jamais je n’ai entendu parler à nouveau de cette cassette.
17.08.2023

L’apprentissage du mensonge : partie 2
C’était l’été, on était partis – ma mère, moi et mes deux petits frères -, passer quelques semaines chez ma grand-mère.
Mon père était resté à Paris parce qu’il bossait. Mon frère aîné était en colo de vacances.
Il faut savoir que ma grand-mère adorait les pâtes de fruits et qu’il y en avait toujours chez elle.
Un jour me trouvant seule dans la maison (les autres étaient au jardin, je suppose) j’ai avisé la grande boîte de pâtes de fruits, posée sur le buffet.
Sur la pointe des pieds, j’ai soulevé un coin du couvercle, j’ai fourré ma main à l’intérieur et j’ai récupéré une bonne poignée de pâtes de fruits, – insoucieuse du bazar que j’avais créé dans la boîte.
Et je suis allée les déguster tranquillement dans un coin de la chambre.
Je pensais que personne ne s’en rendrait compte, mais…c’était sans compter avec le chamboulement que j’avais occasionné dans la boîte, et l’œil avisé de ma mère.
Un peu plus tard ce même jour, elle s’en aperçut.
Mon plus jeune frère était encore un bébé, il était donc innocent.
Je ne sais pourquoi ma mère se dirigea vers mon frère Marc, qui devait avoir 3 ou 4 ans et était en train de jouer tranquillement.
Elle lui dit : « C’est toi qui as pris des pâtes de fruits dans la boîte ?
Lui : « Nan c’est pas moi »
Elle : « Il faut pas mentir, c’est pas bien. Allez, dis le que c’est toi !  »
Et là, mon frère fondit en larmes en répétant entre deux sanglots : « c’est pas moi »…
Le voir pleurer me fendit le cœur, je me levai et allai vers ma mère : « Arrête maman, c’est pas lui. C’est moi qui ai pris des pâtes de fruits ».
Ma grand mère et ma mère se regardèrent, et cette dernière me lança : « Bon écoute, on a l’habitude que tu prennes la défense de tes petits frères ! Faut arrêter avec ça. Tu es sûre que c’est toi ?
– Mais oui, c’est moi ! Arrête de le gronder, il n’a rien fait.
– Bon, je ne suis pas convaincue, mais on va dire qu’on oublie ça. C’est les vacances… »
Je compris que les adultes, contrairement à ce que je pensais avant, ne connaissent pas la vérité.
Ils croient ce qui leur plaît. Et ils ne croient pas forcément ceux qui disent vrai.
17.08.2023

L’apprentissage du mensonge : partie 3
J’étais au CM2 et au fil des années, j’étais devenue une bonne élève.
L’instit’ s’appelait Mme PIQUET et je l’aimais bien, elle savait susciter en nous l’enthousiasme et nous transmettait des idéaux humanistes, nettement de gauche. C’est elle qui a éveillé en moi l’intérêt pour tout ce qui concerne la révolution de 1789.
Mais un jour vers la fin de l’année, après que je sois venue « au tableau » pour réciter un poème appris par cœur ( Le ciel est par-dessus le toit), elle me prit par les épaules presque affectueusement, – ce qui n’était pas dans ses habitudes. Et me demanda :
« Alors, qu’est ce que tu préfères dans la vie ? Tu préfères savoir que tu es la meilleure et rester toute seule dans ta tour d’ivoire ? Ou bien tu préfères la compétition, et te mesurer aux autres ? »
Je suis restée tétanisée.
Qu’est ce que c’était que cette question piège ?
Aurais je le courage de lui dire qu’aucune des deux propositions ne m’intéressait, qu’au fond je m’en fichais complètement d’être bonne élève, que je ne faisais aucun effort pour ça, que j’étais juste contente que ça rende mes parents heureux ?
Honte à moi, car pour éviter les ennuis que provoquerait une réponse vraiment sincère, j’ai balbutié : « La compétition… »
Elle parut enchantée de ma réponse.
Elle venait de baisser d’un cran dans mon estime.
Et moi je me suis sentie misérable.
17.8.2023

On avait 4 petits lits identiques, bien alignés dans l’unique chambre de la maison.
On aurait dit les 7 petits lits dans Blanche Neige.
C’était pour mes 3 frères et moi.
Couchée sous mon édredon dodu, une brique chaude enveloppée de papier journal fourrée sous mes pieds, je contemplais les poutres au plafond et l’abat-jour à fleurs bleues de la suspension.
Une odeur particulière de vieille maison aux parquets usés m’imprégnait peu à peu.
J’entendais le tic-tac de la vieille horloge dans la pièce voisine, la salle à manger, où mes parents avaient fait installer pour eux un canapé convertible.
Quand nous étions là, ma grand mère dormait dans la cuisine, sur un lit pliant.
Dès que nous étions repartis pour Paris, elle retrouvait sa petite maison pour elle toute seule et pouvait dormir où ça lui chantait.
Les murs de la chambre étaient peints en vert pâle.
Sur un des murs, un grand poster avec une vue du château d’Azay le Rideau au printemps.
Sur le mur en face, un agrandissement encadré d’une photo en noir et blanc, où je pouvais reconnaître : ma grand mère jeune femme dans une robe à fleurs ; son mari ( mon grand père maternel que je n’ai pas connu, mort trop tôt) ; ses parents, donc mes arrières grand parents ; son frère le trompettiste de jazz ; ma mère petite fille à la moue boudeuse ; mon oncle encore gros bébé joufflu. Derrière eux, une rivière coulant paisiblement, et au delà, la campagne.
Le matin, les rais de soleil passaient par les découpes en forme de cœurs des volets de bois, et venaient jeter des cœurs inversés sur le mur, juste au-dessus de mon lit.
Je basculais la tête en arrière sur mon oreiller, et ainsi je voyais ces cœurs projetés à l’endroit…
13.3.2023

La porte est restée ouverte.
Dois-je entrer ? J’hésite.
Je commence par appeler depuis le jardin : « Il y a quelqu’un ? »…
Pas de réponse. J’appuie sur le bouton de la sonnette près de la porte. J’entends le ding-dong à l’intérieur, très fort. Toujours pas de réponse.
Alors je décide d’entrer dans la maison et d’aller voir dans chaque pièce : la salle à manger, la cuisine, le salon, le bureau. Toutes les pièces sont désertes et bien rangées.
Aucun plat ne mijote dans la cuisine.
Au milieu de la table dans la salle à manger, quelques fruits attendent sur une assiette. J’ai presque envie d’en prendre un et de le croquer, mais je pense – je ne sais pourquoi – que ce serait une mauvaise idée.
Alors je décide de monter l’escalier pour aller voir dans les pièces du premier étage. Il y a de nombreuses chambres, toutes désertes, toutes très bien rangées. Qui est donc cette famille qui a totalement disparu en laissant sa porte grande ouverte ?
J’arrive devant la salle de bains, je pousse la porte et je crois entendre un bruit de goutte d’eau qui tombe régulièrement…
J’allume la lumière. Et c’est alors que mes cheveux se dressent sur ma tête. Je ne peux m’empêcher de hurler :
« Oh non !… Qu’est-ce qui s’est passé ? Quelle horreur !  »
08.02.2023

La tante Nini et le tonton Joseph, ils avaient fait construire leur maison au début des années 30 sur un joli terrain en bordure d’une rivière.
Un peu plus loin dans le village, il y avait un vieux moulin à aube, tout craquant, et un endroit où, dans le coude de la rivière, on pouvait se baigner si on n’avait pas peur du courant.
Eux, c’était mes arrière grands tante et oncle.
Ils étaient centenaires quand j’étais gamine, et ça les faisait rigoler de penser qu’ils avaient passé plus de temps à la retraite que dans la vie active.
Parfois en automne, la rivière avait des crues.
C’est comme ça qu’un matin, émergeant tous les deux de leurs édredons douillets, ils avaient constaté que l’eau avait monté pendant la nuit, et qu’elle arrivait en bas de leur sommier, transformant la chambre en bassin où flottaient les pantoufles.
Perplexes un instant, ils avaient décidé de se recoucher illico, insouciants, persuadés que la décrue allait venir bientôt.
Pourquoi aller s’embêter à marcher dans 30 cm d’eau glacée ? Ils attendirent dans la tiédeur du lit.
Le soir même, il n’y avait presque plus d’eau dans la maison, ils allèrent à la cuisine pour casser la croûte car ils avaient très faim. Et ne commencèrent à tout nettoyer qu’à partir du lendemain, à leur rythme…
Ils sont restés dans cette petite maison jusqu’à la fin de leur vie.
Elle avait un nom écrit sur la façade en lettres bleues : « Ça m’suffit ».

FIN D’ÉTÉ

Ciel gris d’été…
Je viens de me lever, peu avant neuf heures, c’est encore les vacances pour moi pendant quelques jours.
Les jours ont déjà beaucoup raccourci, j’ai ouvert un oeil vers sept heures et la nuit s’était attardée…alors je me suis rendormie.
Je sors faire quelques pas dans le jardin silencieux, pieds nus sur l’herbe humide. Les hortensias roses ont beaucoup fleuri, les campanules violettes aussi.
Tout à l’heure je sortirai faire quelques courses, en attendant je rentre dans la cuisine pour faire le café. Indispensable café.
Le quartier n’a pas beaucoup changé depuis 5 ans que je m’y suis installée, en tous cas je préfère mes voisins immédiats malgré leur chien qui aboie trop souvent, plutôt que le voisin d’avant qui me matait avec insistance et qui a tué sa femme…il est en prison.
J’irai peut-être jusqu’au poissonnier, pour acheter du poisson frais.
Tout est calme, c’est l’effet d’août finissant.
Peu de voitures, mais j’entends le ding-ding du bus qui s’arrête au coin de la rue.
A ce coin, il y avait il y a encore un peu plus d’un an, un petit café sympa qui s’appelait l’ Escargot. Les confinements ont eu raison de lui, il a mis la clé sous la porte. Le local reste barricadé, en déshérence.
C’est un lieu de convivialité qui disparaît.
Les temps ne sont pas à la convivialité.
J’attends que tous les voisins rentrent de vacances les uns après les autres. Les cris joyeux des enfants manquent au quartier.
A trois maisons de là, j’ai remarqué hier qu’il y a un panneau « A vendre ». La vieille dame qui l’habite seule soignait ses rosiers. Je l’ai saluée. Elle m’a dit qu’elle préférait aller finir ses jours près de ses enfants, qui sont à Pau. Alors elle vend. C’est une belle et grande maison, toute rose. Une des seules dont le jardin ne soit pas entièrement bétonné, avec le mien bien sûr. Bétonner un jardin, une chose que je ne comprendrai jamais.
Un chat noir circule de toit en toit, nonchalamment. Les tourterelles roucoulent dans les arbres, fidèles au poste.
Je termine mon café quand mon amoureux m’appelle au téléphone. Sa voix ensoleille l’instant.
Je considère mon bronzage aléatoire avant d’aller prendre ma douche.
Attendre encore un peu, attendre septembre avant de reprendre le télétravail, les cours de français aux migrants, les luttes politiques.
20.8.2021
À la manière de MC Craquou

ELLE

Elle avait décidé de vivre directement dans la décharge.
Toute petite, toute seule.
Au milieu des détritus, des vieux écrans d’ordis qui suintaient, des millions de fringues sales et enchevêtrées, des meubles ikea déglingués, des boites de conserve coupantes, des restes de nourriture pourrissante, des restes. Animaux ou humains.
Son lit était un vrai lit, au matelas souillé de sang et rongé par les intempéries.
Une casserole cabossée lui servait de poupée, elle lui avait dessiné un visage et l’avait coiffée d’un bonnet.
A la deuxième visite, elle me reconnut et vint vers moi. Elle me montra son pied blessé d’une profonde entaille qu’elle ne voulut pas que je soigne.
Un vieux samsung au verre éclaté lui servait de semelle, elle se l’était ficelé sous le pied.
Je lui proposai de venir avec moi vers la ville.
Elle refusa, elle dit que de nombreux adultes lui avaient déjà proposé de venir avec eux, mais qu’elle se méfiait d’eux.
Je lui demandai alors ce qui lui ferait vraiment plaisir.
Elle dit aussitôt, les joues en feu, qu’elle voudrait avoir à manger tous les jours, et surtout de bonnes et délicieuses choses. Pas pourries.
J’allais lui proposer de lui apporter tous les jours de quoi manger, quand elle se reprit et cria presque : non en fait je voudrais avoir un frère ou une soeur qui vivrait ici avec moi.
Pour plus être toute seule.

C’est comme ça que je décidai de vivre aussi directement dans la décharge.
A l’abri dans les restes de la navette spatiale tombée l’année précédente, quand la ville menait encore une vie à peu près normale…
5.2.2021

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